Urgence et satisfaction

Urgence et satisfaction
Esthela Solano-Suarez

Une psychanalyse est une expérience qui s’accomplit dans le cours d’une durée temporelle assez étendue. Nombreux sont les témoignages qui l’attestent. Il faut du temps. C’est par ailleurs à ce propos que l’on peut y faire objection, à une époque qui se caractérise par l’urgence qui régit la recherche de satisfaction.  

Lacan n’a pas cessé d’interroger la dimension temporelle en jeu dans l’analyse, et cela tout au long de son enseignement. On sait bien le prix qu’il lui aura fallu payer pour avoir substitué au temps canonique de la séance chrono, le temps logique fondé en raison à partir de la logique signifiante. La scansion de la séance, la coupure de la chaine signifiante aussi bien que l’acte analytique, répondent à la visée d’opérer à partir du symbolique sur la jouissance du symptôme. La dimension de la hâte logique y est mise en premier plan, comme étant une fonction éminente dans la production d’une précipitation des effets de vérité.

Or, nous devons à Jacques-Alain Miller [1] d’avoir cerné l’importance cruciale de la valeur du terme d’urgence que nous trouvons dans le dernier texte écrit par Lacan [2]. Dans ce texte, l’urgence fait la paire avec le terme de satisfaction.  

La satisfaction est celle « qui marque la fin de l’analyse [3] », satisfaction non pas de l’ordre de la vérité, qui s’avère menteuse, mais satisfaction qui concerne le registre de la jouissance. « Donner cette satisfaction étant l’urgence à quoi préside l’analyse [4] », écrit Lacan, nous indiquant que l’analyse ne s’accomplit qu’en contrariant la routine du signifié et l’intention de signification, bref, au rêve d’éternité,  pour toucher à « l’écho dans le corps du fait qu’il y a un dire [5] ».

Reste à savoir « comment quelqu’un peut se vouer à satisfaire ces cas d’urgence [6] », non pas par amour du prochain, car celui qui est dans « la requête d’une urgence » n’est pas un prochain, ni l’analyste ne s’offre comme un bon samaritain, mais celui dont l’offre précède l’urgence, urgence qu’il doit peser, car il n’est pas sûr de satisfaire dans tous les cas.

L’éthique de la formation des analystes se mesure alors à l’aune de la satisfaction d’une urgence. La passe étant alors le dispositif qui permet à l’analysant de témoigner de la satisfaction qui marque la fin de l’analyse, présidée par l’urgence. L’École nomme Analyste de l’École les « épars désassortis [7] » qui témoignent « au mieux de la vérité menteuse [8] » dont le terme s’est soldé par une satisfaction, en supposant qu’ils sont à même de satisfaire les cas d’urgence.


1 Cf, Miller J.-A., « L’inconscient réel », et « La passe du parlêtre », The Lacanian Review 6, NLS, Paris, 2018.

2 Cf, Lacan J.,  « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », ibid.

3 Ibid, p. 24.

4 Ibid.

5 Lacan J., Le Séminaire, livre XXIII, Le sinthome, Seuil, 2005, page 17.

6 Lacan J.,  « Préface à l’édition anglaise du Séminaire XI », The Lacanian Review 6, op. cit.

7 Ibid.

8 Ibid.